Nuit noire, étoiles mortes __ Soan Barlow

Il en a toujours été ainsi. Quand on passe sa vie à s' occuper de voyous, on a tendance à attraper quelques-uns de leurs vices, c' est inévitable. @Stephen King, La ligne verte + Argent ★★★

Un vice? Pourquoi ne se contenter d'un seul... Je fume comme un pompier, par contrariété, par ennui, par stress, par victoire, dès que je vois la tronche de Kiefer, pour tout, pour rien. Je ne bois pas, ou très peu, l'alcool met souvent dans des états peu recommandables et avoir une mère alcoolique inavouée ne favorise pas mes rapports à ce genre de chose. J'ai en revanche une forte curiosité pour les drogues. Douces ou fortes, tout dépend de l'occasion. Un petit joint en fin de journée, une inspiration de coke pour survivre aux mondanités, un peu de speed lorsqu'on veut vraiment s'amuser... Rien n'est interdit, tout est permis. * Je lis tout le temps, dès que je peux. En marchant, déjeunant, me brossant les dents, cela me permet de m'évader brièvement de cette vie éreintante pour incarner tour à tour un héro torturé, une demoiselle effrontée, un justicier un peu paumé. Mon auteur préféré est Stephen King. * J'ai acheté moi-même mes première véritables chaussures, aka Louboutin. Les noires avec la semelle carmin me permettant de fouler aux pieds dans des traînées de sang tout ce qui peut avoir envie de se dresser sur ma route. J'avais prévenu que j'y arriverais, il ne reste plus qu'à vous écarter. * Dans ma jeunesse ma chère génitrice m'a inscrite de force au piano: j'ai détesté. Je possède une forte fibre artistique mais je ne suis capable de l'exprimer que via des platines. Depuis peu je mixe régulièrement en soirée, souvent en première partie, en me faisant progressivement un petit nom. Ce sont toutefois les photos de modèle que je fais qui payent les factures. * J'ai une longue ribambelle de casseroles valdinguant derrière mon fessier avantageux: ex de tout horizon, boulot plus ou moins inavouables (escort n'est pas vraiment quelque chose dont je suis fière), carrière avortée (devenir chanteuse de r'n'b était de toute évidence une grossière erreur qui m'a tout de même permis d'asseoir une certaine notoriété), et j'en passe. * Pour moi mieux vaut toujours s'attendre au pire. Premièrement parce que c'est ce qui arrive le plus souvent, deuxièmement parce que si ça foire pas trop au moins on se fait une belle surprise. * Ma mère est atteinte par Alzheimer depuis maintenant trois ans et j'ai dû la placer en institution. J'ai donc cinquante pourcents de chance de le contracter aussi, ce qui m'a poussé à devenir une membre active de l'association de sensibilisation à cette maladie * Je suis victime de terreurs nocturnes depuis toute gamine. Ça vient périodiquement, surtout lorsque je suis stressée ou vraiment épuisée, et c'est assez impressionnant lorsqu'on y assiste pour la première fois. Généralement je mets deux plombes pour me réveiller en hurlant comme une possédée, griffant tout ce qui approche à moins de vingt centimètres. * J'ai certaines valeurs que je ne parviens pas à mettre au placard malgré toute ma bonne volonté: aider les plus démunis (je prends des autostoppeurs ou il m'arrive d'inviter des sans abris zonant dans mon quartier de temps en temps pour leur permettre de prendre une douche et un repas chaud), ne pas vendre l'intégralité de mon corps, malgré tout la famille s'est sacré, déblaye de ta vie les mecs trop cons pour te garder (y en a dix à la douzaine à mener par le bout du nez dehors) * Dans mon adolescence j'étais un vrai garçon manqué qui jurait comme un charretier. Aujourd'hui mon langage est toujours aussi fleuri, mais exit les jeans trop larges et les Tshirts de déménageurs! J'aime prendre soin de moi et m'habiller de façon féminine, ce qui brille et qui clinque, autant que possible. * Le sport est une de mes grandes passions. Mon corps étant un outil de travail je suis obligée de l'entretenir: course à pied, natation, body pump, tout est bon à prendre! Sans compter que ça me permet de manger plus...

Bad behaviour
J'ai 12 ans et je mange des céréales.
Ma mère a une énième fois laissé le dîner brûler dans le four, à deux doigts de faire se déclencher l'alarme incendie. Elle a préféré s'endormir dans le canapé, le ronflement paisible empestant l'alcool et le peignoir entrouvert laissant en apercevoir plus que ce qu'une gamine ne pourrait vouloir de son futur corps. Comme d'habitude, incapable de la transporter grâce à mon gabarit poids plume, je me contentais de la couvrir d'un plaid et de lui déposer un verre d'eau accompagné de paracétamol sur la table basse.
Ma génitrice s'en fout pas mal de savoir si sa gosse a une alimentation équilibrée. Si ça fait une semaine qu'elle se farcit des cornflakes au dîner parce qu'il y a plus rien dans les placards. Sans lait en plus. Depuis que son énième copain (avec qui "cette fois c'était du sérieux") s'est fait la malle, Lisbeth Barlow a fait de la vodka sa meilleure amie. Les pensions qu'elle touche lui suffisent pour vivre comme une classe moyenne lambda, et étant donné sa fierté inexistante, ça ne lui pose aucun problème d'égo.
Avant d'aller me coucher je fais un dernier tour d'horizon au rez-de-chaussée pour verrouiller les portes. Ma mère pionce toujours comme un loir. Et malgré son état pitoyable, je l'aime cette mère. Oh ce n'est certainement pas la meilleure au monde: elle ne sait pas gérer un intérieur, a fait appel à plus de baby-sitters que n'importe qui ici pour pouvoir s'en aller faire la bringue, ne prend jamais la peine de s'interroger sur la vie plus si enfantine de sa fille. Mais quelque chose dans ses traits froissés par le laisser aller semble touchant. Elle a été belle Lisbeth, reine de sa promo à l'époque, avec une carrosserie à damner un saint et des yeux de biche affolant dont j'ai hérité. Mais comme pour beaucoup un truc a foiré, la laissant plus démunie qu'un nourrisson, incapable de faire face aux aléas trop durs de la vie trop garce.
Je me mets en pyjama et tente de m'endormir, priant pour avoir un pantalon propre à me mettre demain qui traînerait dans ma commode.

Aloha
J'ai 20 ans et je monte dans un car avec un aller-simple.
La petite bourgade qui a vu Soan grandir, s'épanouir, devenir, s'éloigne jusqu'à ne former qu'une ville miniature, petites maisons de poupées entourées de verdure recouverte par une épaisse couche de neige. Moi j'ai été enfermée là-dedans pendant vingt ans? Mes rêves sont pourtant trop impatients et ardents pour le Maine, mon ambition tellement dévorante qu'elle n'appelle qu'à autre chose. J'avais vécu toute ma vie dans une boîte à chaussure, possédant autant de possibilités qu'un individu parmi tant d'autres, et ça ne suffisait pas. S'en était même très loin.
Sourire tremblant et hésitant aux lèvres, je me laisser dériver, commençant déjà à tracer des plans sur la comète sur ma réussite future (et certaine!). Je voulais être reconnue, briser le lien maternel me reliant à un effroyable fantôme du passé et du futur, mais surtout avoir de l'argent à m'en brûler les doigts. Ne plus regarder à la dépense. Posséder jusqu'à ce que la peau de mon compte en banque crie grâce! Et encore davantage.

Oh I love my ugly boy
J'ai 23 ans et je suis amoureuse.
Enfin j'en ai en tout cas l'intime conviction lorsque des fourmillements de satisfaction me parcourent pendant que je caresse distraitement le front de Kiefer, allongé sur le canapé avec sa tête sur mes cuisses. La première fois qu'on s'est vu c'était à l'une de ces soirées officielles avec le gotha de Montsimpa à laquelle j'avais pu assister en jouant des pieds et des mains pour obtenir une invitation. Son allure de loubard au sourire charmeur m'avait plu et suffisamment intrigué pour que je lui accorde trois minutes de mon temps. Qui se sont transformées en quatre heures au bout desquelles nous avions finis par prendre la décision de nous revoir d'un commun accord.
Ça n'a pas pris longtemps pour que je bascule dans la "Garvey attitude", il savait y faire.
Kiefer c'est d'abord un bon parti, ensuite un bon coup et enfin un bon gars. Malgré son complexe de supériorité chronique il n'en reste pas moins un trublion avec le cœur sur la main, c'est simplement que parfois, il a pas conscience des limites du commun des mortels.
Enfin ça  c'est ce que je me disais à chaque fois qu'on s'engueulait puis qu'on se retrouvait. Il a fallut un bout de temps avant que je mette les voiles, poussée à bout. La litanie d'injures m'a fait voir rouge, un voile aveuglant qui m'a entraîné à commettre le pire. Je claquais donc la porte d'un geste net et sans bavure, le cœur se balançant au bout d'une corde, un bandeau sur les yeux avec la cigarette de la dernière volonté au bec.

Do you?
J'ai toujours 23 ans et je suis remontée.
A cause d'un foutu contrat signé je suis obligée de me coltiner mon ex-compagnon (pourtant toujours bien au chaud dans mon trop tendre palpitant). Forcée de cohabiter comme un couple avec ce petit con qui ne manquera pas une occasion pour me mettre ses nouvelles conquêtes sous le nez.
Évidemment je n'ai pas non plus perdu mon temps de mon côté. Le mannequinat marche bien, rapporte un certain pactole et me permet d'enterrer avec soulagement ma courte carrière de chanteuse. Sans compter que mon nouveau gigolo, pardon petit-ami, se montre plutôt généreux en dépense. Loyer, charges, cadeaux, je n'ai même pas besoin de demander, il m'apporte tout sur un plateau d'argent, inconscient du simple pansement dont il fait office.
Jusqu'ici j'ai réussi à esquiver la question de l'emménagement ensemble. Mon nouveau duplex situé dans le quartier de Twinbrook c'est mon refuge, pas question qu'un mâle y pose ses valises. Le précédent m'a déjà bien amoché sentimentalement parlant, et j'aimerais assez ne pas renouveler l'expérience. J'ai même réussi à lui faire avaler la pilule de l'émission en duo avec Kief sans trop de problème. Il est gentil. En même temps vu ce qu'il a balancé dans la presse à cette annonce sur mon ex copain il vaut mieux... Question de survie.
Je m'allume un joint en laissant la fenêtre entrouverte, l'air froid se déversant dans la pièce enroulant mon visage dans un nuage de fumée délassante. Va bien falloir que j'arrive à dormir, parce que demain c'est le premier tournage. Le premier de toute une saison! Bon Dieu... Après réflexion il va falloir que j'appelle mon dealer pour renflouer les stocks, mes nerfs risquent de casser sinon.