NOAH ◄ become yourself

Nos doutes nous assaillent et nous font échouer. Nous manquons le but que nous pourrions atteindre par crainte seulement de ne pas l’atteindre • W. SHAKESPEARE @tumblr + Dario Marianelli. ★★★

◄► Noah, tout le monde vous dira que c’est un type simple, tout ce qu’il y a de plus banal et de plus normal. Métro, boulot, dodo lui conviendrait à merveille, si tant est qu’on s’arrête sur le pas de la porte. En vérité, tout est plus compliqué… tout est toujours plus compliqué.

◄► Noah c’est le paradoxe de la Lune ; tantôt croissant discret, tantôt pleine et lumineuse. Pour beaucoup, il est l’antiquaire effacé qui passe son temps au fond de sa boutique jusqu’à lui-même en sentir le renfermé, coincé entre un chandelier branlant et un canapé Victorien. La cloche tinte et il se redresse brusquement, vieux chat endormi devenant soudain chaton bondissant ; il aime les gens, c’est indéniable, et leur faire la conversation est sans doute son passe-temps favori… Il s’y prend seulement comme un manche…

◄► Il est comme ça, bavard et passionné, sans doute trop parfois qu’on pourrait facilement le lui reprocher… Quand il s’agit d’autre chose, de n’importe quoi en vérité, il le sait. Il sait tout. Par cœur. Mais quand il s’agit de Monsieur, c’est une autre paire de manche… Il ne sait plus. Il a oublié. Préférez lui demander qui était le petit-fils du général des troupes de Napoléon, il saura sans aucune doute mieux vous répondre que si vous le questionnez sur le nom de jeune fille de sa mère…

◄► Cela n’a rien avoir avec le désintérêt ou la distraction… il est simplement comme ça ; il juge de ce qu’il est important de retenir et de ce qui n’a qu’un maigre intérêt. Et s’il s’en contente, ce n’est pas le cas des foules… Noah Gallager est pourtant loin d’être vu comme une bête mystérieuse, seulement en vérité, personne ne le connait, pas même lui ne se connait.

◄► Il est doué, habile ; sait aussi bien réparer une bécane que jouer du Beethoven à la perfection ou réciter Shakespeare en préparant des macarons. Rien ne lui échappe, mais à ses yeux, c’est parfaitement normal et basique. Inconscient de ses talents, il ne prend pas la peine de les étaler au monde pour en retirer les honneurs et hausse les épaules d’un air surpris quand on le complimente.

◄► C’est qu’il n’apprécie guère d’être mis sous les feux de la rampe… du moins pas en tant que Noah. Monsieur Loyal lui par contre est doué en la matière, on n’a jamais vu pareil orateur, il sait haranguer les foules et faire rires même les plus bridés ! Un talent de plus qu’il ne s’octroie pas. Le seul moment où il s’autorise à faire preuve d’humanité et laisser de côté le robot docile qu’il incarne habituellement.

◄► Des émotions il en a, des tas, des montagnes même ! Elles se bousculent et se mélangent dans son esprit trop réfléchi, à tel point qu’il n’en parvient plus à les démêler et encore moins à les exprimer. A-t-il peur, est-il en colère, heureux, frustré ? Il ne saurait le dire, une fois encore. Ses héros sont fiers et courageux, lui n’est rien d’autre que lui-même, perdu dans un flux de ressentiments indescriptibles et espiègles qui se jouent de son innocence.

◄► Noah, lorsqu’il n’est que lui-même, prend les choses comme elles lui viennent. Pas d’arrières pensés, pas de faux semblants ou de sous-entendus douteux. Il ne connait que le premier degré, ce qui on le conçoit peut être particulièrement déstabilisant pour les autres…

◄► Loin d’être le type négligé qu’on aimerait imaginer, Noah sait prendre soin de lui ; en fervent admirateur des époques royalistes et de la classe naturelle d’époques lointaines, il apprécie les belles choses. Ses vêtements sont souvent raffinés et élégants, tout en demeurant simples et épurés.

◄► Si Noah apprécie les autres, il n’en est cependant pas moins mal à l’aise en public ou noyé dans la foule. Etre sur le devant de la scène, ce n’est pas son truc et il panique à chaque fois qu’un regard se pose sur lui dans pareille situation, de même qu’il cherchera toujours à fuir les grands rassemblements, de peur de se perdre entre les corps. De se perde à nouveau, lui qui ne s’est jamais réellement trouvé…

◄► Lorsque Monsieur Loyal parle, tout le monde écoute. Mais Monsieur Loyal, ce n’est pas Noah Gallager, c’est simplement Monsieur Loyal. Quelqu’un d’autre, rien à voir avec le rat poussiéreux qui lui sert d’alter égo. En devenant Monsieur Loyal, Noah parvient à tout surmonter et de beaucoup vous diront qu’il n’est plus lui-même. Mais la vérité c’est peut-être qu’au contraire, il devient enfin celui qu’il est vraiment lorsqu’il revêt ce chapeau haut de forme et cette veste rouge en queue de pie que le monde entier connaît.

◄► Un autre de ses talents aurait pu être de cerner ses congénères avec vérité, mais curieusement, il apparait comme catastrophique dans ce domaine. Les relations humaines, c’est pas son truc. Il devient fébrile en présence des autres, ce qu’il compense par ses discours interminables sur des sujets barbants qui finissent par faire fuir jusqu’au plus téméraire des passants.

◄► Demandez-lui de décrire ce qu’est l’amour et il aura probablement du mal à vous répondre, si ce n’est pas même mission impossible. Il passe son tour. Eluder, c’est son dada, mais dans ce cas précis, même éluder ne suffit pas. Il ne sait tout simplement pas. Il regarde les visages qui le jaugent, les rires de ces dames après son passage mais il n’a aucune conscience du reste et passe son chemin en ignorant les mots soufflés tout bas et les joues qui se teintent de chaleur.

◄► Le seul amour qu’il connaisse, c’est celui de ces babioles qui traînent dans sa boutique. De la plus insignifiante fleur séchée mise sous verre jusqu’au manuscrit original d’un Dickens, il aime chaque élément de son impressionnante collection et chérie les moments passés en leur compagnie. Eux seuls sont témoins de ses vérités et de ses rares extravagances. Eux seuls le connaissent mieux qu’il ne se connait, car même le plus fin observateur ne saurait dire qui est véritablement Noah Gallager…

Il est né là, dans cette ville épanouie, dans une famille épanouie. Enfant choyé, enfant gâté, enfant aimé. Il avait tout ce qu’un môme puisse désirer et plus encore. Et il n’était pas seul, jamais. Il avait Raphaël. C’était pas un gamin comme les autres Raphaël. Maman avait dit qu’il n’aurait jamais la chance de voir le soleil, ou les fleurs dans les prairies, ou le sourire sur les visages… Il ne voyait que des ombres, c’était pas sa faute, il était né comme ça et personne n’y pouvait rien. Noah avait vite compris, il n’était pas idiot. Son frère n’avait pas eu de chance mais lui en avait. Il s’est vite épris de ce monde étrange dans lequel Raphaël baignait, lui contant des histoires pour l’aider à voir ce qu’il voyait, lui expliquant la nature, les couleurs, les nuages… Il était une moitié de lui. Il était lui. Il était ses yeux, son tout, et cela le comblait. A force de voir pour lui, de lire, de chanter, d’écouter, il avait fini par développer une véritable passion pour la vie et ses secrets. Il aimait tout d’elle, ses mensonges comme ses surprises, et il savourait chaque instant passé à la suivre dans ses frasques et à tenter de prendre exemple sur elle pour ensuite l’inculquer à son cadet.

Papa avait décidé de partir quand Maman n’était pas revenue un soir après son travail. Personne ne voulait dire pourquoi, et Noah avait vite compris que personne ne le savait vraiment. Lui ne voyait rien d’autre que son absence. Il ne posa aucune question, ne feint aucune tristesse. La seule chose dont il était certain, c’est que cela allait changer leur vie.

Il ne s’était pas trompé, il se trompait rarement. Papa leur avait laissé le choix ; partir avec lui ou rester vivre chez Tante Jacinthe. Raphaël avait pleuré. Longtemps. Mais Noah avait décidé ; ils resteraient. Montsimpa c’était leur foyer, leur maison et tant qu’ils étaient ensemble, tout irait pour le mieux. Tante Jacinthe était une femme étrange au rire de sorcière mais elle leur faisait des cookies tous les dimanches et les emmenait partout avec elle. Elle leur apprit tout ce qu’elle savait et Noah prit note de chaque petit détail. Il fil du temps et de ses récits, il avait fini par aimer son parfum d’eau de Cologne et de rose, ses mains calleuses à la peau ridée et ses cheveux cendrés aussi fins que du coton.

La vie chez elle était simple et heureuse. Raphaël faisait des progrès rapides et il avait fini par accepter la réalité : Papa et Maman ne reviendraient pas. Les deux garçonnets se suffisaient à eux-mêmes et ils n’arrêtèrent jamais de vivre comme ils l’entendaient. Lorsqu’ils eurent l’âge, Tante Jacinthe les inscrivit à l’Université, où ils prirent soin de toujours demeurer non loin l’un de l’autre. Raphaël avait développé des talents indéniables en musique et son frère admirait ce qu’il était devenu. Lui-même ne savait pas. Il n’avait jamais su… Il savait qu’il lisait, chantant et racontait pour son frère, mais lui, qu’était-il réellement ? Il ne parvint jamais à le savoir et ne le sait toujours pas à ce jour.

Les promesses s’effilochent avec le temps et l’enfance se voile et s’efface progressivement. Noah n’avait jamais été… Noah ; Il avait été les yeux et le monde de Raphaël, et lorsqu’il n’avait plus eut besoin de lui pour voir et vivre, Noah était tombé. La chute avait été rude et il avait mis du temps à se relever. Tout recommencer de zéro, comme si rien n’avait jamais existé. Une vie dénuée de sens. Un monde terne, et sombre. Noah avait refoulé ce qu’il était depuis toujours, mais c’était là : enfoui au plus profond de lui. Il n’avait qu’à se révéler, se dévoiler. Mais prendre son envol est plus facile à dire qu’à faire et l’oisillon, s’il n’avait pas peur de sauter, se rendait compte qu’une fois le vent chevauché, il ne savait où aller. Se laisser porter. Se laisser glisser… ça aurait été si simple.

A la fin, il n’avait jamais prétendu avoir eu la témérité de faire le grand saut. Il avait hésité et finalement, les choses s’étaient froissées. Ses idées se bousculaient et il avait préféré les garder au fond de lui, préférant sans doute les savoir là qu’éparpillés au grès des caprices de la vie, sans avoir plus aucun contrôle sur elles.

Bizarrement, il avait toujours cru qu’un jour sa vie serait à l’image de celle de ses parents ; il allait sans doute tomber amoureux à la sortie de l’université, fonder une famille et partir un jour, sans un mot, sans un geste, laissant derrière lui tout ce qu’il avait construit pour aller explorer des contrées étrangères. Mais il se trouvait là, assit derrière le bureau de sa boutique d’antiquités, feuilletant un livre aux pages si usées qu’il était surprenant qu’elles ne deviennent pas poussière entre ses doigts, aussi délicats ses geste eussent-ils été. La cloche tinta et il releva vivement la tête, cherchant où poser ses yeux hagards sur le nouvel arrivant. Un sourire timide naquit sur ses lèvres, illuminant son visage l’espace d’un battement d’ailes. Ephémère émotion qu’il laissait là entrevoir, à la seule personne qu’il ai jamais considérée.

Tante Jacinthe avait été enterrée dans le petit cimetière de la ville un matin de printemps, deux ans auparavant. Chaque année, le même jour, Raphaël et Noah se rendaient sur sa tombe pour y déposer des roses blanches, ses préférées. Raphaël pleurait beaucoup, comme lorsqu’ils étaient enfants. Mais étaient-ils aujourd’hui des adultes ? Noah restait de marbre, les mains croisées, le regard fixé sur le marbre des tombes alentours. Ce n’est pas qu’il n’éprouvait rien, simplement qu’il ne savait pas comment l’exprimer et qu’à nouveau, il s’abstenait.
Ensuite Raphaël repartait et il ne le revoyait plus avant longtemps…

Il était le seul qu’il n’ait jamais aimé, sans vraiment le savoir. Il avait vécu à sa place pendant les quinze premières années de sa vie et avait passé les quinze secondes à tenter de vivre pour lui-même, à comprendre le monde et la vie à travers ses yeux et non plus ceux aveugles de son frère. Il y était parvenu. A demi. Il était comme un somnambule qu’on n’ose réveiller. Son quotidien, il l’avait construit autour de quelques réalités qu’il avait assemblées pour réussir à former un semblant de quelque chose, les contours d’un commencement, le début d’une aventure.
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